"Remettre la vie dans le bon sens"

Le 19 Février 2015

"Remettre la vie dans le bon sens"

Depuis le mois d'octobre, Les petits Platons participent à un projet de lutte contre le décrochage scolaire, en partenariat avec le Théâtre de l'Odéon, la ville de Sarcelles, l'Alliance des mécènes et la Fondation Deloitte pour l'éducation. Les ateliers philo, qui sont animés par Chiara Pastorini et Jean Paul Mongin, se déroulent tout au long de l'année scolaire, et seront présentés au public de l'Odéon le 20 juin 2015. Les trois articles publiés dans la Lettre de l'Odéon N°13 vous permettront d'en savoir plus !

 

Petits Platons deviendront grands

Fondateur des petits Platons, livres de philosophie pour enfants que leurs parents sont souvent les premiers à lire, Jean Paul Mongin a eu un parcours à la Houellebecq «moins le côté glauque», passant de l'étude du néoplatonisme puis d'un DEA sur Aby Warburg à la vente de shampoings en grande surface... et retour ! Comment passe-t-on de Denys l'Aréopagite à l'adaptation de Kant pour les plus jeunes ? Réponse ci-dessous à cette question et à quelques autres !

Daniel Loayza : Jean Paul Mongin, les volumes des petits Platons dont vous signez les textes proposent trois lignes succinctes de présentation de l'auteur qui ne sont jamais tout à fait identiques d'un titre à l'autre. Et quand on cherche à se renseigner sur internet, on tombe parfois sur une «biographie secrète» plutôt inattendue... 

Jean Paul Mongin : Qu'est-ce qu'on y raconte ?

D. L. : Que vous avez obtenu un DESS de conseiller éditorial, travaillé pour le Centre des Hautes études Militaires, puis pour une multinationale que vous avez quittée en 2008... Et la philosophie, dans tout ça ?

J. P. M. : ça alors !... Tout est exact dans cette biographie, y compris les omissions  ! J'ai eu ce DESS, c'est vrai. Je n'ai jamais tout à fait compris quelle compétence on me reconnaissait comme «conseiller éditorial», mais le jury me l'a accordé très gentiment. Parallèlement, j'ai aussi passé un DEA de philosophie sur l'historien de l'art Aby Warburg. Auparavant, j'avais aussi travaillé sur un néoplatonicien, Denys l'Aréopagite...

D. L. : Vous avez eu un parcours à la Houellebecq !

J. P. M. : Oui, mais le plus souvent, les expériences que vivent les personnages de Houellebecq ont une teinte glauque. Cela n'a pas été le cas pour moi.

D. L. : Et comment ce chemin conduit-il à la fondation d'une collection de livres de philosophie pour les enfants ?

J. P. M. : Eh bien, à l'occasion d'un plan social, j'ai eu la chance de me faire licencier ! La marque de shampoing sur laquelle je travaillais a été une priorité pendant deux ans, jusqu'au jour où elle a cessé de l'être... La marque ayant été arrêtée, je me suis retrouvé désœuvré. J'ai dû réfléchir à l'opportunité de travailler à mon propre projet. Et là, j'ai pensé à un catalogue pour les enfants... Il y avait déjà une belle offre dans ce domaine, qui aurait pu me décourager. Mais tous les titres proposés avaient une approche thématique : qu'est-ce que le bonheur ? A-ton le droit de ne pas aimer aller à l'école ?... Il s'agissait toujours de traiter des questions. Ce qui présuppose que parmi les questions qu'on se pose, certaines sont philosophiques et d'autres non... Ce qui est sûr, c'est qu'il y a une histoire de la philosophie. Je me suis donc demandé : pourquoi ne pas parler de Descartes, de Kant, de Socrate à des enfants, d'une façon qui ne serait pas uniquement biographique, de façon à restituer la saveur d'un univers philosophique ? Pour moi, il était évident qu'il fallait raconter la philosophie en partant des fictions que les philosophes eux-mêmes ont produites. Dès Platon, le discours philosophique ne cesse de passer d'une modalité dialectique à une modalité fictionnelle.

D. L. : Les fameux «mythes»...

J. P. M. : Oui. Ces mythes ne sont pas là pour faire joli. En termes kantiens, il sont le lieu où la raison confie à l'imagination le soin de proposer des conjectures. Le mythe de la caverne, chez Platon, est comme un conte : c'est une histoire formidable pour des enfants, et en même temps il leur permet de saisir ce qu'est une théorie de la connaissance. De même, le malin génie, chez Descartes, permet de penser le doute hyperbolique, mais il est aussi la figure d'une histoire qu'on peut raconter.

D. L. : L'identité visuelle de la collection est d'une qualité remarquable...

J. P. M. : Je n'avais aucun regard par rapport à l'illustration contemporaine, c'est tout un monde auquel il a fallu qu'on m'initie. J'avais une connaissance qui dessinait bien, je lui ai proposé de s'y mettre, et nous avons appris chemin faisant. Les premiers essais étaient à l'ancienne, très représentatifs... Après avoir péniblement accouché d'un premier titre, et avec l'aide d'une amie qui a un œil très acéré, y compris en matière typographique, nous avons réuni des illustrateurs qui savent que le dessin d'idées consiste à suggérer et à animer plutôt qu'à paraphraser. Aujourd'hui, nous en sommes au vingt-quatrième titre, et nous sommes traduits dans plusieurs langues...

D. L. : Comment envisagez-vous la suite ?

J. P. M. : Dans l'immédiat, il y a trois choses. À titre personnel, je compte bien continuer à écrire des «petits Platons». L'exercice consistant à passer du concept à l'imagination est difficile et très salutaire. Sortir de l'abstraction pour mieux la retrouver et l'éclairer, cela demande un certain tact d'écriture. Un philosophe n'en est pas forcément pourvu... Moi-même, j'ai un mal, vous n'imaginez pas !... Ensuite, comme éditeur, mon ambition est de donner la parole à des gens bien plus qualifiés que moi. Nous faisons appel à de vrais spécialistes, soucieux de fidélité à la pensée de l'auteur. J'aime aider ces grands intellectuels à trouver l'approche et le ton justes. Et le troisième point concerne la diffusion de la philosophie dans l'école et hors d'elle. Je n'ai pas oublié quel traumatisme l'institution scolaire a été pour moi. Je ne m'imaginais pas du tout que je travaillerais un jour sur des contenus scolaires. Je m'intéresse d'autant plus, aujourd'hui, aux questions d'éducation. Le fait de pouvoir lire nos livres à mes propres enfants m'a amené à formuler les choses autrement ! De nombreux enseignants nous ont demandé de mettre au point des contenus pédagogiques, d'organiser des rencontres... Nous avons déjà mis en place des actions communes avec différents partenaires, dont l'Odéon. Nous travaillons notamment à Sarcelles avec Chiara Pastorini et Chantal Ahounou, qui a organisé un atelier philosophique avec des enfants dits «décrocheurs»*. Ce sera l'occasion de montrer, si besoin est, qu'il n'y a rien de plus concret que la philosophie.

Propos recueillis par Daniel Loayza à Paris, le 16 octobre 2014

 

Remettre la vie dans le bon sens

Depuis plusieurs saisons, l'Odéon mène des actions d'éducation artistique et culturelle destinées à des enfants ou à des adolescents n'ayant pas eu l'occasion de découvrir le théâtre ou confrontés à des difficultés particulières. Cette année, un nouveau projet conçu pour des jeunes en situation de décrochage scolaire est mis en place, avec le soutien de la municipalité de Sarcelles, de l'Alliance des mécènes et de la Fondation Deloitte pour l'éducation. Enseignante d'histoire-géographie pendant quatorze ans au collège Jean Lurçat de Sarcelles, Chantal Ahounou a mis toute son énergie, son expérience et son humour dans la balance pour rendre possible ce nouveau partenariat avec Les Bibliothèques de l'Odéon et Les petits Platons.

Alice Hervé : Pourquoi cet engagement avec des jeunes «décrocheurs» qui va au-delà de votre rôle d'enseignante ?

Chantal Ahounou : Mon «rôle d'enseignante», je ne l'ai jamais conçu sans cet «au-delà». Quand on s'engage, quand on veut ouvrir d'autres horizons aux enfants, on explore toutes sortes de pistes. Si je veux conduire les adolescents vers l'épanouissement et les aider à réussir, je dois être prête à enseigner autrement ! De ce point de vue, la culture, et le théâtre en particulier, sont des biens communs, des ressources qui invitent à des pratiques différentes. Les liens entre l'Odéon et le collège Jean Lurçat remontent à dix ans. Toutes sortes d'intervenants, dont des artistes, sont venus dans l'établissement, et inversement, les élèves ont pu franchir le seuil d'un grand théâtre parisien. Ces allers-retours entre la classe et la scène ont transformé leur rapport à l'art et à la vie. L'Odéon est devenu progressivement pour eux un lieu plus familier, une maison à laquelle ils découvraient qu'ils avaient droit. Et ce lieu n'est pas que théâtral. Il est un carrefour de rencontres ouvrant à des expériences inédites.  L'Odéon, avec ses Bibliothèques, est donc le partenaire idéal pour s'attaquer au problème du décrochage. C'est un fléau social terrible, qu'il faut attaquer à la racine.

A. H. : En quoi ce projet répond-il au problème du décrochage scolaire ?

C. A. : Les causes du décrochage sont multiples, mais j'en retiens une, que tous les enseignants connaissent. Les jeunes, et pas seulement les adolescents, sont en quête de sens. Or quand on ne trouve pas de sens, quand on a le sentiment qu'il n'y a aucun sens à rien, alors à quoi bon ? Cette demande de sens, parfois informulée, n'est pas toujours facile à entendre. Et même si on l'entend, il peut être difficile de la satisfaire : le sens, ce n'est de toute façon pas quelque chose qu'on peut dicter ou mettre en formules. Il arrive ainsi que les jeunes, à force d'avoir le sentiment de ne pas être écoutés, finissent par ne plus écouter eux-mêmes. Ils s'enferment dans leur coquille, ils lâchent prise. Chaque année, cent quarante mille jeunes quittent le système scolaire sans aucun diplôme. C'est un drame. Chaque année, je suis confrontée à des élèves qui risquent de «décrocher», et cela me donne le vertige... Je suis persuadée que si on répond mieux à la demande de sens, ne serait-ce qu'en l'aidant à s'exprimer, nous ferons déjà un grand pas. Je crois aux vertus de la philosophie dès le plus jeune âge. Personnellement, je ne connaissais pas Les petits Platons, une collection particulièrement innovante. Je l'ai moi-même découverte grâce aux Bibliothèques de l'Odéon ! L'interrogation philosophique est une activité à la fois très personnelle et très collective. Elle amène à énoncer ses opinions, à les examiner, à s'ouvrir à celles des autres et à les discuter en commun. Bien conduite, elle peut être une véritable libération. Avec ce projet, ensemble – et je tiens absolument à remercier ici Guilène Bertin-Perri, secrétaire générale de la Fondation Deloitte pour l'éducation, et Laurence Piccinin, déléguée générale de l'Alliance des mécènes, sans qui rien n'aurait été possible –, nous allons faire en sorte que ces enfants se réparent et retrouvent l'estime d'eux-mêmes. Chaque année, des ateliers d'éducation artistique et culturelle offriront aux jeunes «décrocheurs» la possibilité de se reconstruire et d'envisager l'avenir autrement, y compris en leur ouvrant les portes de l'entreprise. 

A. H. : Comment va se dérouler ce programme ?

C. A. : Les ateliers de philosophie ont lieu les mercredis après-midi de 14 à 16 heures, à la maison de quartier «Les Vignes Blanches», grâce à la municipalité de Sarcelles, qui soutient les partenariats avec l'Odéon depuis 2004. J'y serai présente. Les douze jeunes participants se sont inscrits volontairement. Au cours de l'année, ils visiteront le Théâtre de l'Odéon dans le 6e arrondissement, où ils assisteront à des lectures des Bibliothèques de l'Odéon. Ils découvriront aussi la Fondation Deloitte pour l'éducation. Enfin, le samedi 20 juin 2015, le public du théâtre pourra découvrir le travail réalisé dans ces ateliers : une lecture publique sera présentée au salon Roger Blin, dans le cadre de la programmation des Bibliothèques. Cette reconnaissance symbolique du parcours accompli par les enfants est évidemment d'une importance capitale.

Propos recueillis par Alice Hervé à Paris, le 14 octobre 2014

 

Une pédagogie de la question

Une séance avec Chiara Pastorini, intervenante des petits Platons 

Docteur en philosophie et collaboratrice occasionnelle à Philosophie Magazine, Chiara Pastorini anime des ateliers de philosophie pour enfants dans les écoles (dès la maternelle), les bibliothèques ou les cafés. Elle intervient également pour la maison d'édition Les petits Platons. C'est dans ce cadre qu'elle animera à Sarcelles, tout au long de l'année scolaire, les ateliers de philosophie destinés aux «décrocheurs» du collège Jean Lurçat. 

Son projet : accompagner les enfants dans la découverte de la philosophie de façon ludique, en associant une pratique très interactive de l’échange à des références philosophiques classiques. Sa priorité : donner un espace d'expression aux enfants, de manière à ce qu'ils soient les protagonistes de la discussion. 

Les participants sont au besoin répartis en différents groupes selon leur âge. Une fois le thème choisi (quelques exemples : «Ça veut dire quoi, grandir ?» «Le bien et le mal» ou encore «Est-ce que je peux faire confiance à mes sens ?»), Chiara allume une petite bougie symbolisant le temps qui s'écoule et la clarté de la pensée dissipant les confusions. Puis elle fait asseoir les enfants en cercle et prend place parmi eux. La discussion peut s'engager spontanément à partir de quelques remarques de Chiara, prendre appui sur des supports visuels (images, vidéos), ou s'inspirer de la lecture de contes. Après un échange d'environ une heure, la rencontre peut se poursuivre par des travaux pratiques (peinture, dessin, écriture) qui visent à aborder autrement le thème abordé tout en produisant une trace concrète des discussions. Les textes produits peuvent être lus et commentés par les enfants eux-mêmes. 

Cette pratique s'inspire librement de la méthode maïeutique (du grec μαιευτική, art de la mise au monde) telle que la pratiquait Socrate. à l'instar de sa mère, qui était sage-femme, Socrate prétendait en effet accompagner des «accouchements», en aidant les jeunes gens de son entourage à mettre au jour leurs idées pour en éprouver la validité. Avec les jeunes participants des ateliers, le but est de les amener à s'interroger sur les thèmes qui les intéressent tout en leur apprenant à opérer des distinctions conceptuelles et à développer leur sens critique. Car pour Chiara Pastorini, la philosophie est une pédagogie non de la réponse, mais de la question. Médiatrice, Chiara ne dicte pas de solutions, mais montre en quoi consiste leur recherche, facilitant ainsi la construction de débats qui nourrissent chez chaque enfant l'autonomie de sa pensée. 

Alice Hervé

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